Gerd Beyer nous a quittés le 20 janvier dernier à l’âge de 81 ans. Tout au long de sa vie, il a œuvré au développement de la recherche biomédicale, aussi bien à ISOLDE (CERN), il y a quarante ans, que dans de nombreux autres laboratoires. On se souviendra de son travail assidu qui a permis de développer de nouvelles méthodes radiochimiques dans le domaine de la physique nucléaire et de la physique nucléaire appliquée.
Né à Berlin en 1940, Gerd fait ses études secondaires à Aschersleben, dans les contreforts du Harz, en Saxe-Anhalt. Après avoir étudié la radiochimie à l’Université technique de Dresde, il rejoint l’Institut unifié de recherche nucléaire (JINR) de Doubna, où il met au point des méthodes de production avancées de radioisotopes à très courte durée de vie destinés à la spectroscopie nucléaire.
C’est à l’Institut central de recherche nucléaire de Rossendorf qu’il excelle dans l’utilisation du cyclotron U-120 et du réacteur de recherche (RFR) pour la production de radioisotopes médicaux, et le développement des produits radiopharmaceutiques associés.
Il obtient son habilitation universitaire à l’Université technique de Dresde en travaillant sur la production de radionucléides au moyen de méthodes radiochimiques rapides combinées à la séparation des masses.
En 1971, Gerd est invité à ISOLDE (CERN) pour travailler avec Helge Ravn sur la préparation d’échantillons extrêmement purs de noyaux rares à longue durée de vie, dans le but d’étudier leur désintégration par capture d’électrons, compte tenu de leur potentiel pour la détermination de la masse des neutrinos.
De retour à Rossendorf, il poursuit son travail sur le développement de produits radiopharmaceutiques, qu’il fait entrer dans la pratique de la médecine nucléaire de l’ex-Allemagne de l’Est et des pays du bloc de l’Est.
C’est dans ce contexte qu’il développe un certain nombre de nouvelles méthodes de marquage et de synthèse de produits radiopharmaceutiques, qui susciteront une grande attention au niveau international. Ce fut notamment le cas du développement d’une méthode de séparation efficace du Mo-99 produit par fission d’uranium faiblement enrichi. Ce sujet, assez complexe, l’a amené à participer à de nombreuses collaborations à travers le monde, afin que d’autres laboratoires puissent bénéficier de son savoir-faire.
Sa nomination à la tête de l’unité de production radiopharmaceutique et du cyclotron lui permet également de lancer, en RDA, un programme sur les scanners TEP reposant sur la caméra à positons de Rossendorf et utilisant des détecteurs gazeux issus de travaux novateurs menés au CERN.
Lors de ses visites au CERN, Gerd perçoit le potentiel de la technique de séparation de masses d’ISOLDE en tant qu’outil de recherche moderne en médecine nucléaire qui permettrait d’utiliser des nucléides mieux adaptés et jusqu’alors non disponibles.
En 1985, en étroite collaboration avec ISOLDE, il établit le chemin pour l’utilisation future des grandes installations d’expériences de physique nucléaire pour la production de ces radionucléides. Il rétablit les liens entre ISOLDE et le Département de médecine nucléaire des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) en mettant en place une collaboration portant sur l’utilisation de noyaux exotiques émetteurs de positons pour l’imagerie TEP. Cette collaboration a permis de développer de nouveaux produits radiopharmaceutiques, en tirant profit des radionucléides de terres rares et d’actinides.
Peu après la chute de la RDA, Gerd perd son emploi à Rossendorf, sa ville d’attache, et doit commencer une nouvelle carrière ailleurs. Grâce au programme des attachés scientifiques du CERN, il devient professeur invité au Département de biochimie médicale et de médecine nucléaire des HUG, puis chef du groupe de radiochimie, responsable de l’installation et du fonctionnement du nouveau cyclotron. Cela lui permet de poursuivre ses travaux sur le développement de nouvelles approches pour le marquage d’anticorps monoclonaux et de peptides avec des lanthanides exotiques émetteurs de positons produits à ISOLDE, de déterminer leur stabilité in vivo et de démontrer leurs propriétés prometteuses pour l’imagerie. Gerd a également été le premier à démontrer les propriétés thérapeutiques intéressantes de l’émetteur alpha terbium-149.
Quand il quitte les HUG, vivement intéressé par la question de la disponibilité de ces radioisotopes rares, Gerd, avec un groupe de collègues, propose au CERN de construire un nouveau laboratoire de radiochimie connecté à ISOLDE. Toutes les connaissances sur les cibles et les techniques de séparation des masses pour la production et la manipulation des radionucléides pourraient y être utilisées pour que des échantillons de ces isotopes de grande pureté puissent être utilisés dans un programme de recherche biomédicale plus large. Des années plus tard, la proposition de Gerd voit finalement le jour avec la nouvelle installation CERN-MEDICIS.
Gerd était un expérimentateur et un scientifique de premier ordre, hautement qualifié pour le travail en laboratoire. Il est resté actif professionnellement jusqu’à la fin. Que ce soit en tant que professeur invité, membre de nombreuses sociétés professionnelles ou consultant, il s’est toujours beaucoup investi afin de partager et de transférer son savoir-faire, comme récemment avec la nouvelle génération de scientifiques de l’installation CERN-MEDICIS. Les travaux sur la production de produits radiopharmaceutiques que Gerd a menés durant sa carrière exceptionnelle ont permis de sauver d’innombrables vies. Ses travaux de recherche sur de nouveaux radiopharmaceutiques et, en particulier, son travail précurseur sur le terbium-149 pour la thérapie alpha ciblée, ouvrent de nouvelles voies vers des traitements plus efficaces du cancer. Il est donc particulièrement tragique que le développement de médicaments antiviraux efficaces soit arrivé trop tard pour soutenir Gerd dans son courageux combat contre le COVID-19.
Nos pensées vont à son épouse, Ludmilla, et à ses deux enfants, Thomas et Darja.
Ses amis et collègues