Sur le parquet des bourses ou dans les salles de contrôle du CERN, des flots de données en constante évolution s'entrecroisent sous l'œil attentif des experts. D'un côté, les scientifiques analysent les résultats des collisions de particules – plus d’un exaoctet de données stockées dans les installations informatiques du CERN – à la recherche d’informations permettant d’en apprendre davantage sur la nature de l'Univers. De l'autre, les régulateurs financiers passent au peigne fin les marchés débordants d'ordres d'achat et de vente générés par des algorithmes, dans l'espoir de déjouer les tentatives de manipulation d’échanges commerciaux. À cet égard, les outils et l’expertise du monde de la physique peuvent à l’évidence être d’une grande utilité pour le monde financier.
Le mois dernier, des spécialistes financiers du monde universitaire et des régulateurs des marchés mondiaux ont rencontré des représentants du CERN afin d'initier une collaboration inédite. Le Groupe international d'expertise en surveillance des marchés (International Expert Group on Market Surveillance – Groupe IMS), issu de cette collaboration, réunit le CERN et 17 agences de régulation du monde entier. « En alliant la recherche universitaire, l'expertise industrielle et les connaissances spécialisées du CERN, nous avons toutes les cartes en main pour innover et mettre au point de nouveaux outils et solutions de surveillance des marchés financiers, souligne Marjolein Verhulst, présidente du Groupe IMS. Dans les prochains mois, nous espérons accueillir d’autres agences de régulation et élaborer un programme de recherche qui réponde aux principaux défis de la surveillance. »
Ces cinq dernières décennies, les marchés boursiers sont passés de cotations à la criée à des négociations électroniques. Les hurlements et les gestes avec les mains ont été remplacés par des processus toujours plus nombreux, automatisés et efficients. Ces changements ont favorisé l’émergence de nouvelles techniques de manipulation des marchés, telles que le « spoofing ». Le spoofing est une pratique utilisée par les opérateurs de marché pour fausser le prix de certains instruments financiers en émettant des ordres trompeurs d'achat ou de vente sans avoir l’intention de les exécuter, et en les annulant une fois que le marché a réagi. Le manipulateur peut alors placer de nouveaux ordres dans le sens inverse du marché et générer un large profit, mais au détriment d'autres investisseurs, portant ainsi atteinte à la confiance dans les institutions financières. Afin de lutter contre le spoofing, une surveillance étroite des mouvements microscopiques des marchés est primordiale.
Pour passer au crible ses vastes quantités de données, le CERN a développé plusieurs outils, tels que le programme open source de traitement de données ROOT, permettant de filtrer les données et de visualiser celles qui pourraient potentiellement faire l'objet d'une analyse plus approfondie. Les régulateurs financiers ont su tirer parti de tels algorithmes modernes, et s'écarter des pratiques précédentes qui consistaient à comparer des instantanés du carnet d'ordres, chaque seconde ou chaque minute, ce qui ne permettait pas de saisir toutes les transactions effectuées entre-temps.
En tant qu'expert reconnu de l’analyse et de la modélisation de données scientifiques, le CERN joue un rôle actif au sein du Groupe IMS en lui proposant certaines des techniques qu'il emploie en physique des particules, comme le programme ROOT. « Les physiciens du CERN utilisent ROOT depuis plus de vingt ans à des fins d'analyse de données, et le programme est constamment mis à jour, explique Axel Naumann, physicien appliqué au CERN. Disponible en open source, ROOT offre à ses partenaires une solution adaptable s'ils cherchent à avoir un impact positif sur la société et qu'ils doivent analyser d’énormes volumes de données pour résoudre leurs problèmes, dans des domaines comme la génomique, la production de vaccins ou l'observation terrestre. »
La collaboration est fondée sur le projet de recherche HighLO, lancé il y a quatre ans par le CERN, l'Université de Wageningen et l'Université de Maastricht, ainsi que le Centre néerlandais d'expertise en gestion des risques sur les marchandises (CORMEC). À partir du programme ROOT et des données de marché, l'équipe en charge du projet a mis au point une méthode inédite de visualisation des données, permettant aux régulateurs de protéger les marchandises et les marchés financiers contre des mauvaises pratiques. Cette méthode permet aussi d'analyser de façon approfondie les cas de spoofing, comme celui de grande envergure qu’a connu le groupe JPMorgan en 2020.
Pour mettre ses technologies et son expertise à disposition de missions scientifiques ou commerciales, le CERN propose différentes possibilités de transfert de technologies. Le groupe Transfert de connaissances du CERN peut vous aider à tirer parti de ce potentiel et vous proposer des solutions en s’appuyant sur ses nombreux domaines d'expertise. Consultez le site web du groupe KT ou écrivez-nous à kt@cern.ch.
L'équipe du projet HighLO présentera ses travaux de recherche lors du prochain séminaire sur le transfert de connaissances, le 29 juin à 11 heures. La présentation sera intitulée « Discovering fraud: can CERN tools accelerate market surveillance? » (« Détecter la fraude : les outils du CERN peuvent-ils rendre la surveillance des marchés plus efficiente ? ») Lors du débat, des spécialistes feront état de la collaboration unique mise en place entre le CERN, le monde financier universitaire et les régulateurs financiers. Pour plus d’informations, consultez cette page Indico.