SPS tunnel
La structure métallique du coffrage mis en place pour le coulage des parois en béton du tunnel du SPS a donné cet effet optique remarquable. (Image : CERN)

Au début des années 1960, alors que le Synchrotron à protons (PS) vient d’entrer en service, la communauté scientifique songe déjà à une machine dix fois plus puissante. Toutefois, un accélérateur plus grand implique la construction d’un autre laboratoire, et donc la recherche d’un nouvel emplacement. Le projet se trouve rapidement bloqué dans une impasse diplomatique et budgétaire. John Adams, le chef de projet, propose alors une solution moins coûteuse et plus performante. À l’instar d’une fusée propulsée par plusieurs étages, il suggère d’utiliser le PS comme injecteur du nouvel accélérateur, afin d’atteindre une énergie plus élevée à moindres frais.

Ainsi relancé, le programme est approuvé en 1971. Quelques mois plus tard, les travaux commencent pour creuser un tunnel de 7 kilomètres de circonférence, à 40 mètres sous terre, à cheval sur la frontière franco-suisse, et construire un nouveau laboratoire en France sur un site de 412 hectares. Pendant les années de construction du Supersynchrotron à protons (SPS), le CERN est divisé en deux laboratoires, ayant chacun sa structure administrative et son directeur général, qui seront réunis en 1976.

Plus d’un millier d’aimants équipent l’anneau, qui voit l’entrée en service d’un système de contrôle futuriste pour l’époque : 24 petits ordinateurs de commande communiquent via un système de transmission à débit élevé entre le tunnel et la salle de contrôle. Les ordinateurs sont équipés des premiers écrans tactiles capacitifs, une technologie qui, bien des années plus tard, servira aux smartphones.

Le 17 juin 1976, jour de réunion du Conseil du CERN, les protons font leurs premiers tours d’anneau à l’énergie de 300 GeV. À peine quelques heures plus tard, les équipes poussent la machine jusqu’à 400 GeV, soit 100 GeV au-delà de l’énergie initialement prévue.

Au début de l’année suivante, le programme expérimental démarre. Le SPS alimente deux zones d’expérimentation : la zone Ouest, sur le site de Meyrin, et la nouvelle zone Nord, sur le site de Prévessin. En 1981, le SPS est transformé en collisionneur de protons et d’antiprotons, avant de devenir en 1989 le deuxième étage d’une fusée plus grande encore, le collisionneur LEP (Grand collisionneur électron-positon), de 27 kilomètres de circonférence.

Témoignage

J’étais un jeune boursier du CERN, membre d’une petite équipe de trois personnes travaillant sur le projet. Je fus des plus étonnés lorsque l’on me demanda de revoir entièrement le concept de la machine pour la rendre plus compacte et moins chère.
Ted Wilson
four men in a control room
Ted Wilson répond à un appel téléphonique dans la salle de contrôle du SPS en 1977. (Image : CERN)

Ted Wilson participe à la conception du Supersynchrotron à protons (SPS) dès 1967 et joue un rôle majeur lors de sa mise en service. Il prend part à la conversion du SPS en anneau de stockage, avant de participer à la mise en service de l’accumulateur d’antiprotons (AA), en 1981. Il prend ensuite la direction de l’école du CERN sur les accélérateurs, qu’il dirigera pendant douze ans.

« À la fin des années 1960, la construction des ISR était presque terminée, mais le prochain grand accélérateur européen, un synchrotron géant, était encore à l’étude. Aux États-Unis, la nouvelle machine de Fermilab était quasiment finie […]. Plusieurs années venaient de s’écouler sans qu’aucun accord sur le site du nouveau grand accélérateur européen ne soit trouvé. Le Conseil du CERN ne pouvait plus attendre. Il demanda donc à John Adams de revenir pour faire avancer le projet.

J’étais un jeune boursier du CERN, membre d’une petite équipe de trois personnes travaillant sur le projet. Je fus des plus étonnés lorsque l’on me demanda de revoir entièrement le concept de la machine pour la rendre plus compacte et moins chère. Même si nous pouvions démontrer que nous étions à l’avant-garde des dernières technologies, le Conseil du CERN ne pourrait être convaincu sans des études de coûts détaillées.

C’est là que John Adams eut une idée de génie : le blocage lié au choix du site pourrait être levé s’il existait une bonne raison d’opter pour un site plutôt qu’un autre. Nous avons étudié la solution d’un anneau de 400 GeV, pouvant être construit au CERN, et utilisant les machines existantes comme pré-accélérateurs ainsi que des bâtiments vides comme zones expérimentales. Construire la machine au CERN coûterait ainsi bien moins cher que sur un nouveau site.

Ce nouveau “projet B” était un secret, connu seulement d’un ou deux d’entre nous. John Adams, quant à lui, voyageait dans toute l’Europe et, usant de beaucoup de diplomatie, désarmait les ambitions des pays souhaitant accueillir le nouvel accélérateur. Je contribuai au maintien du secret en me cassant une jambe au ski et en passant six semaines [immobilisé][…], loin de tout téléphone ou de tout ordinateur. Le moment venu, un John Adams plutôt impatient vint à mon chevet pour me dire qu’il fallait que je me rétablisse vite. L’heure était venue de lever le voile ; la machine allait être connue sous le nom de SPS.

Homme dans un tunnel
Dans le tunnel du SPS, en 1979. (Image : CERN).

Pour le Britannique qu’était John Adams, sa rencontre avec une certaine Margaret Thatcher, ministre des Sciences et de l’Éducation, en visite au CERN, fut un moment clé. J’ai rarement vu John aussi excité que lorsqu’il arriva en courant dans le couloir en annonçant : “Margaret vient de téléphoner pour me dire que le gouvernement accepte que le Royaume-Uni se joigne au projet. C’est vraiment gentil de sa part, n’est-ce-pas ?”

En 1976, le SPS fut mis en service, sans heurt, comme prévu. Bien qu’arrivant cinq années après son rival américain, l’installation allait bientôt être récompensée par un prix Nobel, faisant entrer des protons en collision avec des antiprotons grâce au génie de Carlo Rubbia et de Simon van der Meer. »

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Cet entretien est adapté du livre « Infiniment CERN » publié en 2004 à l'occasion du 50e anniversaire du CERN. Ted Wilson est décédé en 2016 à l'âge de 78 ans.