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Des ondes gravitationnelles détectées

L’annonce de la détection directe d’ondes gravitationnelles par les collaborations LIGO et VIRGO confirme l’une des grandes prédictions d’Einstein

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L’annonce par les collaborations LIGO et VIRGO de la détection directe d’ondes gravitationnelles confirme, après presque un siècle, l’une des grandes prédictions d’Einstein. En effet, Einstein avait soumis le 25 novembre 1915 l’article contenant les équations correctes de la relativité générale, et en juin 1916 il présentait déjà un article étudiant la possibilité de l’existence des ondes gravitationnelles. Un phénomène impossible selon la théorie de Newton.

Une toute nouvelle fenêtre s’est ouverte sur l’Univers : le XXIe siècle sera le siècle de l’astronomie des ondes gravitationnelles. Un nouvel âge d’or commence, avec les nombreux phénomènes que nous espérons étudier, mais aussi d’autres dont nous ne soupçonnons sans doute même pas l’existence.

Selon la relativité générale, les objets massifs déforment l’espace-temps, et la courbure de ce dernier détermine le mouvement des objets dans cette géométrie. Lorsque des objets massifs se déplacent, la courbure de la géométrie doit changer en conséquence, et il faut un certain temps à l’espace-temps pour réagir. Il s’ensuit donc des perturbations dans l’espace-temps, qui peuvent être décrites par des ondes. Ces perturbations sont très semblables aux tremblements de terre, qui engendrent des ondes sur l’écorce terrestre. Les ondes gravitationnelles sont comme des ondes sismiques qui se propageraient dans le matériau de l’espace-temps. La gravité ne pouvant pas être arrêtée, ces ondes traversent l’Univers.

L’une des plus grandes difficultés à surmonter, pour pouvoir détecter ces ondes, est leur amplitude extrêmement faible. La modification fractionnelle de la géométrie peut être de l’ordre de seulement 10-21, et il faut donc déployer des trésors d’ingéniosité pour parvenir à les détecter. C’est comme s’il s’agissait de mesurer la distance entre la Terre et la Lune avec une précision de quelques centaines de noyaux atomiques.

La fusion de trous noirs constitue la source la plus « nette »  d’ondes gravitationnelles. Les trous noirs occupent les théoriciens de la relativité depuis des décennies, avec des débats enflammés sur la nature de ce qui se trouve à l’intérieur ou sur la nature de l’horizon qui voile la singularité de l’espace-temps qui pourrait se dissimuler à l’intérieur. Il sera peut-être enfin possible d’étudier ces questions de façon expérimentale. De nombreuses propriétés des trous noirs seront testées, et la validité de la théorie d’Einstein sera elle aussi évaluée dans des régimes où l’interaction gravitationnelle est très forte et défie souvent notre puissance de calcul. Il est particulièrement exaltant d’envisager un possible début de l’ère de l’expérimentation dans la physique des trous noirs. Nous allons vivre des moments passionnants.

La première détection indirecte d’ondes gravitationnelles a été réalisée par Russell Hulse et Joseph Taylor (prix Nobel 1993), qui ont étudié le système binaire du pulsar PRS B1913+16, découvert en 1974 (système dont l’un des éléments est donc un pulsar). Après avoir analysé minutieusement le moment d’arrivée du signal, ils annonçaient en 1978 la mesure directe de la décroissance orbitale, due à l’émission d’ondes gravitationnelles prévue par la célèbre formule du quadrupôle d’Einstein. Mieux encore : en 2003, un double pulsar (couple dont les deux éléments sont des pulsars), d’une période orbitale de 2,4 heures, a été découvert (PSR J0737-3039).  La décroissance gravitationnelle de l’orbite a ainsi pu à nouveau être mesurée avec une excellente précision, et confirme la prédiction de la relativité générale.

Il existe de nombreuses sources d’ondes gravitationnelles, comme le montre l’image ci-dessous :

 

Les sources des ondes gravitationnelles détectables et les instruments utilisés ou envisagés pour y parvenir. (Image: The Institute of Astronomy, Cambridge, UK)
  • Fréquences extrêmement faibles : les longueurs d’ondes ont une échelle cosmologique et elles pourraient être décelées au moyen de satellites mesurant la polarisation en mode b du fond cosmologique diffus.
     
  • Le rayonnement gravitationnel ayant des périodes de quelques années pourrait en théorie être mesuré par l’observation d’une série de pulsars milliseconde. Actuellement, plusieurs projets suivent des pulsars pour tenter de capter des signaux d’ondes gravitationnelles.
  • Fréquences faibles à moyennes : il existe dans cette catégorie de nombreuses sources (voir image), dont la détection exigerait des interféromètres situés dans l’espace. Le satellite éclaireur du projet LISA a été lancé il y a quelques mois, ce qui permettra de tester certaines des technologies nécessaires pour construire ce type de détecteur. Le lancement d’un dispositif de détection LISA (Laser Interferometer Space Antenna) complet n’est pour l’instant pas prévu avant le milieu des années 2030.

 

C’est dans la gamme des hautes fréquences que les interféromètres situés sur la Terre, comme LIGO et VIRGO, se révèlent utiles. Les sources possibles sont en particulier les fusions d’objets compacts : étoiles à neutrons ou trous noirs. Ce sont les fusions de trous noirs qui fournissent les signaux les plus nets. On estime que ces fusions ont lieu à une fréquence de l’ordre d’une fois par galaxie et par millénaire. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est crucial de disposer d’instruments suffisamment sensibles pour atteindre l’amas de galaxies de la Vierge, qui contient près de 2000 galaxies ; le nombre de galaxies susceptibles d’être surveillées par les interféromètres actuels s’élevant ainsi à plusieurs milliers, la probabilité d’obtenir plusieurs détections par année est élevée.

Autres éléments :

  • La solution la plus connue à l’équation de la relativité générale décrivant un trou noir a été obtenue par Karl Schwarzschild (et elle porte son nom) ; il l’envoya à Einstein dans une lettre datée de fin décembre 1915, un mois à peine après la présentation par ce dernier de la forme finale des équations du champ gravitationnel. Cet exploit est d’autant plus remarquable que Schwarzschild se trouvait à ce moment sur le front russe. On ne manquera pas au passage de saluer l’efficacité de la poste prussienne.
  • La première étude analytique de la formation d’un trou noir issu de l’effondrement d’une étoile a été réalisée en 1939 par Oppenheimer (oui, c’est le même) et Snyder.
  • Il a fallu attendre jusqu’en 1963 pour obtenir, grâce à Roy Kerr, l’expression de l’espace-temps correspondant à un trou noir en rotation. Peu après, la solution Kerr-Newman de l’équation de la relativité générale dans le cas d’un trou noir en rotation et chargé électriquement a été obtenue.
  • L’existence des ondes gravitationnelles, prédites par la relativité générale, a été un sujet très controversé pendant des décennies, et ce n’est qu’à la fin des années 1950, grâce aux travaux de Pirani, Bondi et Feynman, qu’on a pu établir qu’elles existent et transportent de l’énergie.
  • Un grand nombre de travaux théoriques ont été consacrés à l’étude des trous noirs, des singularités de la relativité générale et de ses relations avec la mécanique quantique. Parmi les plus grands spécialistes, on peut citer : S. Chandrasekhar (prix Nobel 1983), J.M. Bardeen, S. Hawking, R. Penrose, B. Carter, J. Wheeler, K. Thorne, C. Misner, V. Belinsky, I. Khalatnikov, E. Lifshitz, L. Landau, J. Hartle, G. Gibbons, J. Bekenstein, W. Unruh.
  • Fréquences faibles à moyennes : il existe dans cette catégorie de nombreuses sources (voir image), dont la détection exigerait des interféromètres situés dans l’espace. Le satellite éclaireur du projet LISA a été lancé il y a quelques mois, ce qui permettra de tester certaines des technologies nécessaires pour construire ce type de détecteur. Le lancement d’un dispositif de détection LISA (Laser Interferometer Space Antenna) complet n’est pour l’instant pas prévu avant le milieu des années 2030.
  • Le rayonnement gravitationnel ayant des périodes de quelques années pourrait en théorie être mesuré par l’observation d’une série de pulsars milliseconde. Actuellement, plusieurs projets suivent des pulsars pour tenter de capter des signaux d’ondes gravitationnelles.