L’un des bâtisseurs du LEP s’est éteint le 18 mai 2020. Henri Laporte avait dirigé les travaux de génie civil du Grand collisionneur électron-positon dans les années 1980, le plus grand chantier que la recherche fondamentale ait jamais entrepris, avec ce fameux tunnel de 27 km qui abrite aujourd’hui le LHC.
De ses origines de Sète, dans le sud de la France, Henri Laporte tenait son accent chantant, qui, associé à une faconde méridionale et un talent de conteur, faisait le bonheur de ses interlocuteurs. Diplômé des prestigieuses écoles françaises Polytechnique et Ponts et Chaussées, Henri Laporte démarra sa carrière dans les travaux maritimes au début des années 1950. Nommé successivement ingénieur principal sur le chantier du port d’Oran, puis celui de l’arsenal de Toulon, il s’envola en 1963 pour la Polynésie française où il dirigea le projet d’extension du port de Papeete. En 1967, Henri Laporte fut recruté par le CERN pour diriger la division des services techniques et des bâtiments.
Reconnu pour son travail acharné, son expertise et son autorité, Henri Laporte rejoint au début des années 1980 le projet LEP. Emilio Picasso, le chef de projet, lui confia la responsabilité du très ambitieux chantier de génie civil. Mais avant que les engins ne commencent à creuser, le CERN devait convaincre les décideurs locaux alors que le tunnel devait passer sous une dizaine de communes suisses et françaises, avec neufs sites construits en surface. Sous la houlette de Robert Lévy-Mandel, responsable de l’étude d’impact, des dizaines de réunions de concertation furent organisées. Henri Laporte y brilla par ses talents oratoires et sa facilité à nouer des relations. Au cours des réunions de projet, Robert Lévy-Mandel et Henri Laporte s’adonnaient à des joutes oratoires, truffées de citations latines, qui sont restées dans les mémoires.
Le chantier pharaonique démarra en 1983, avec le creusement des 18 puits, auquel succéda celui du tunnel. Il fallut trois tunneliers pour venir à bout des 23 kilomètres creusés en plaine. Sous le Jura, l’excavation fut réalisée à l’explosif, par crainte d’accidents géologiques qui aurait pu bloquer le tunnelier. Et un accident survint en 1986 : des flots d’eau sous pression envahirent le tunnel, retardant le chantier. L’expertise d’Henri Laporte et son leadership furent décisifs lors de cet incident et tout au long du projet. Il n’était pas rare qu’il doive se déplacer à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit pour constater des dégâts et prendre les mesures urgentes. En 1988, enfin, le tunnel était entièrement creusé.
Le tunnel représentait cependant moins de la moitié du volume total à creuser, l'anneau étant jalonné de puits d'accès, de cavernes et de galeries. De surcroît, quelque 80 bâtiments furent édifiés en surface. Jean-Luc Baldy, qui dirigeait les travaux de surface, et Michel Mayoud, en charge des interventions cruciales des géomètres, soulignent la confiance éclairée que leur avait accordée Henri Laporte en leur laissant une grande liberté de manœuvre.
Une fois le chantier terminé, une longue procédure opposa le CERN au consortium d’entreprises en charge des travaux. Henri Laporte travailla durant plusieurs années avec le service juridique, opiniâtre, comme à son habitude. Devant le Tribunal arbitral, Henri Laporte se distingua non seulement par ses connaissances techniques, mais également par son talent d’acteur et son humour. Eva Gröniger-Voss, chef du service juridique du CERN et alors juriste travaillant sur le dossier, se souvient qu’il amusait les juges en expliquant que, en bon vivant qu’il était, il entendait « confit d’oie » quand les juristes disaient « conflit de lois ». Henri Laporte prit sa retraite en 1993 et s’adonna jusqu’au bout à de multiples activités intellectuelles et artistiques.
Doté d’une grande curiosité, avec des connaissances approfondies dans de nombreux domaines, Henri Laporte laisse le souvenir d’un personnage charismatique, doté d’une poigne et d’une grande ténacité, d’une jovialité communicative et d’une grande attention pour ses collaborateurs.
Ses amis et anciens collègues