Le cérium, métal de la famille des terres rares, est utilisé dans de multiples applications technologiques ; on le retrouve par exemple dans certaines ampoules et dans les écrans plats des télévisions. Rare dans la croûte terrestre, il est légèrement plus abondant dans l’Univers. On ne sait toutefois pas grand-chose sur la manière dont il est synthétisé dans les étoiles. Dans une nouvelle étude publiée dans la revue Physical Review Letters, la collaboration n_TOF au CERN s’est penchée sur la manière dont le cérium est produit dans les étoiles. Les résultats obtenus étant différents de ceux prédits par la théorie, il apparaît nécessaire de repenser les mécanismes censés intervenir dans la production de cérium, ainsi que d’autres éléments plus lourds, dans l’Univers.
« Les mesures réalisées nous ont permis d’identifier des résonances nucléaires jamais observées auparavant dans la gamme d’énergie en jeu dans la production de cérium dans les étoiles, explique Simone Amaducci, des laboratoires nationaux du Sud de l’INFN, premier auteur de l’étude. Nous avons pu obtenir ce résultat grâce à la résolution à très haute énergie de l’installation du CERN et grâce à l’échantillon très pur de cérium-140 dont nous disposions ».
Pour expliquer mathématiquement l’abondance d’éléments plus lourds que le fer (étain, argent, or et plomb) observée dans les étoiles, on peut postuler l’existence de deux processus de capture des neutrons : l’un lent, l’autre rapide. Le processus lent correspond à un flux de neutrons de 10 millions de neutrons par centimètre cube, tandis que le processus rapide correspond à un flux de plus d’un million de milliards de milliards de neutrons par centimètre cube. Le processus lent produirait environ la moitié des éléments plus lourds que le fer dans l’Univers, y compris le cérium.
L’installation de mesure du temps de vol des neutrons (n_TOF) étudie les interactions des neutrons, telles que celles se produisant dans les étoiles. Dans l’étude qui vient d’être publiée, les scientifiques ont utilisé n_TOF pour mesurer la réaction nucléaire d’un isotope particulier, le cérium-140, avec un neutron, produisant un autre isotope, le cérium-141. D’après des modèles théoriques complexes, cette réaction joue un rôle crucial dans la synthèse des éléments lourds dans les étoiles. Les scientifiques se sont intéressés en particulier à la section efficace de la réaction, à savoir la quantité physique qui exprime la probabilité qu’une réaction se produise. Ils ont mesuré la section efficace dans une large gamme d’énergies avec une précision supérieure de 5 % aux mesures précédentes.
Ce résultat soulève de nouvelles questions sur la composition chimique de l’Univers. « Ce qui nous a intrigués au départ, c’est l’écart entre les modèles théoriques d’étoiles et les données recueillies par l’observation du cérium dans les étoiles de l’amas globulaire M22 dans la constellation du Sagittaire, explique Sergio Cristallo, de l’Observatoire astronomique des Abruzzes de l’Institut national d’astrophysique (INAF), qui a proposé l’expérience. Les nouvelles données nucléaires diffèrent de manière sensible, jusqu’à 40 %, de celles figurant dans les bases de données nucléaires actuellement utilisées, et cet écart est assurément supérieur à l’incertitude calculée. »
Ces résultats ont des implications astrophysiques notables, notamment une réduction de 20 % de la contribution du processus lent à l’abondance du cérium dans l’Univers, ce qui impose un changement de paradigme dans la théorie de la nucléosynthèse du cérium, avec l’intégration dans les calculs d’évolution stellaire d’autres processus physiques qui ne sont pas pris en compte actuellement. En outre, ces nouvelles données ont un impact notable sur la théorie de l’évolution chimique des galaxies, et de la production d’éléments plus lourds dans l’Univers.