Un vieil ordinateur NeXT du début des années 90, prêté par un groupe de passionnés d’informatique de Lausanne, occupe un coin de la pièce, son écran affichant une invite de commande en noir et blanc sur le vieux système d’exploitation NeXTstep. Des programmeurs et des développeurs venus des quatre coins du monde sont réunis autour d’une table oblongue avec leurs ordinateurs, et parlent avec animation de sujets tels que les « polices anti-aliasées » et les « fichiers binaires ». Juste à côté se trouve l’immense salle qui accueille les serveurs du Centre de calcul du CERN, dans laquelle sont réalisés tous les calculs du Laboratoire et où sont stockées les données des expériences du Grand collisionneur de hadrons. Cette salle avait également abrité la première connexion internet du CERN, en 1989, et elle abrite à présent le point d’échange internet du CERN (CIXP). Ces développeurs sont ici pour recréer le premier serveur web, qui avait été construit au CERN en 1990 par Sir Tim Berners-Lee afin de naviguer sur des pages web, lesquelles relèvent elles aussi de son invention.
Vous lisez sans doute cet article via un navigateur web, qui affiche des contenus en langage HTML (HyperText Markup Language) sur un système d’exploitation fonctionnant sur un ordinateur fixe ou portable. Le navigateur initial de Tim Berners-Lee, appelé à l’origine « WorldWideWeb » puis renommé plus tard « Nexus », pouvait fonctionner uniquement sur l’ordinateur NeXT sur lequel Tim Berners-Lee avait écrit son code. Mais l’équipe de développeurs cherche à présent à faire fonctionner le navigateur WorldWideWeb sur des systèmes d’exploitation actuels, en s’appuyant pour cela sur les possibilités offertes par le web lui-même. Pour ce faire, ils imitent le navigateur original à l’intérieur d’un navigateur moderne, en utilisant le langage de programmation très répandu JavaScript ; vous pourrez ainsi profiter de faire l’expérience du web primitif sans devoir mettre la main sur un vieil ordinateur NeXT.
L’équipe s’était déjà rassemblée en 2013 afin de recréer le « navigateur en ligne de commande », initialement créé en 1991 par Nicola Pellow. Maintenant, pour leur deuxième passage ici, à moins d’un mois du 30e anniversaire du web, ils s’attaquent à un nouveau défi. « Nous avons récupéré le code du navigateur WorldWideWeb, expliquait le développeur Remy Sharp lundi, le premier des cinq jours que durera ce défi. Mais nous n’avons pas encore réussi à l’installer sur la machine NeXT. » En effet, il n’est pas facile de travailler en interface avec du matériel qui a plusieurs dizaines d’années.
L’équipe avait besoin de faire fonctionner le logiciel sur la machine pour laquelle il était conçu afin de répliquer l’aspect et l’impression exacts sur un système moderne. Il s’agissait par exemple de faire en sorte que les caractères de l’imitation du navigateur WorldWideWeb aient le même rendu que les caractères « trapus » du système d’exploitation NeXTstep, au lieu de l’aspect plus harmonieux apparaissant actuellement sur les écrans. Finalement, la programmeuse Kimberly Blessing est parvenue à installer le navigateur WorldWideWeb sur l’ordinateur emprunté.
Le mardi à midi, les participants ont partagé un repas avec le pionnier du web Robert Cailliau. Cela a été l’occasion de parler des mécanismes des premiers navigateurs web, et entre autres du fait que le navigateur WorldWideWeb offrait la possibilité non seulement de lire une page web, mais aussi de l’éditer en temps réel.
Quelques heures avant la fin de cette course contre la montre, qui est soutenue par la Mission des États-Unis à Genève à travers la Fondation CERN & Société, les développeurs continuaient de travailler sans relâche pour que le résultat de leur travail puisse être mis à disposition du public. Les notes sur leur projet et les liens vers le navigateur WorldWideWeb ressuscité sont disponibles sur le lien cern.ch/worldwideweb. Pour en savoir plus sur le projet visant à préserver certains des biens numériques associés à la naissance du web, rendez-vous sur la page cern.ch/first-website.