Genève, le 4 juin 2018. Le boson de Higgs n'interagit qu'avec les particules massives. Et pourtant, il a été découvert lors de sa désintégration en deux photons, des particules dépourvues de masse. D'après la mécanique quantique, le Higgs peut en effet fluctuer pendant un instant très bref en un quark top et un antiquark top, qui s'annihilent rapidement en une paire de photons. La probabilité que ce processus se produise varie avec la force de l'interaction (appelée couplage) entre le boson de Higgs et le quark top. Cette mesure nous permet de déduire indirectement la valeur du couplage Higgs-top. Toutefois, des particules lourdes révélatrices d’une nouvelle physique, jusque là jamais observées, pourraient elles aussi participer à ce type de désintégration et modifier la donne. C'est pourquoi on voit dans le boson de Higgs une porte d'entrée vers la nouvelle physique.
L'émission d'un boson de Higgs par une paire de quarks top-antitop est une manifestation plus directe du couplage Higgs-top. Les résultats présentés aujourd'hui lors de la conférence LHCP à Bologne décrivent l'observation de ce processus appelé « production ttH ». Les résultats de la collaboration CMS, dont la signification statistique dépasse pour la première fois cinq écarts-types (la valeur de référence en la matière) viennent d'être publiés dans la revue Physical Review Letters ; en incluant des données de la phase d’exploitation actuelle du LHC, la collaboration ATLAS vient également de soumettre pour publication des résultats avec une meilleure signification statistique. Ensembles, ces résultats permettent à notre connaissance des propriétés du boson de Higgs de faire un bond en avant. Les résultats des deux expériences sont compatibles entre eux et avec le Modèle standard, et nous donnent de nouvelles pistes pour la recherche de la nouvelle physique.
« Ces mesures des collaborations CMS et ATLAS apportent une forte indication que le boson de Higgs tient un rôle majeur dans la grande valeur de masse du quark top. Bien que ce soit certainement une caractéristique clé du Modèle standard, cela a été vérifié pour la première fois avec une signification statistique déterminante, » a dit Karl Jakobs, porte-parole de la collaboration ATLAS.
« Les équipes d’analyse de CMS et leurs homologues d’ATLAS ont utilisé de nouvelles approches et des techniques d’analyse avancées pour franchir cette étape importante. Lorsque ATLAS et CMS auront terminé l’acquisition de données en novembre 2018, nous disposerons d’un nombre d’événements suffisant pour défier encore un peu plus les prédictions du Modèle standard, afin de voir s’il se trouve quelque chose de nouveau, » a indiqué Joel Butler, porte-parole de la collaboration CMS.
Le processus étant rare, il est difficile de le mesurer : 1 % seulement des bosons de Higgs sont produits en association avec deux quarks top ; par ailleurs, le Higgs et le quark top se désintègrent en d'autres particules de nombreuses manières (ou modes) différentes. En utilisant les données sur les collisions proton-proton collectées à des énergies de 7, 8 et 13 TeV, les équipes d'ATLAS et de CMS ont mené plusieurs études indépendantes pour traquer la production ttH, chacune axée sur un mode de désintégration du Higgs différent (désintégration en bosons W , bosons Z, photons, leptons τ et jets issus de quarks bottom). Pour augmenter le plus possible la sensibilité au signal ttH, très difficile à observer expérimentalement, chaque expérience a ensuite combiné les résultats de toutes ses recherches.
Obtenir un tel résultat aussi tôt dans la vie du programme LHC est gratifiant. On le doit à l'excellente performance de la machine LHC et des détecteurs ATLAS et CMS, à l'utilisation de techniques d'analyse de pointe et à la prise en compte dans l'analyse de tous les états finaux possibles. Le niveau de précision des mesures laisse toutefois de la place à un apport de la nouvelle physique. Ces prochaines années, les deux expériences collecteront bien plus de données et amélioreront la précision de leurs mesures afin de déterminer si le Higgs révèle la présence d'une physique au-delà du Modèle standard.
« Nous devons ce magnifique résultat à la superbe performance du LHC, ainsi qu’à l’emploi d’outils expérimentaux améliorés qui ont permis de maîtriser cette analyse très complexe, » a ajouté le directeur de la recherche et de l’informatique du CERN1, Eckhard Elsen. « Cela montre aussi que nous sommes sur la bonne voie avec notre projet de LHC à haute luminosité et les résultats qu’il promet .»
Pour plus d'information:
Un événement candidat de production d’une paire quark top anti-quark top, en conjonction avec un boson de Higgs, dans l’expérience CMS. Le Higgs se désintègre en un lepton tau+, qui se désintègre à son tour en hadrons et un tau-, qui se désintègre en un électron. Les symboles du produit de désintégration figurent en bleu. La désintégration du quark top en trois jets de particules plus légères, est indiquée en violet. L’un des jets est initié par un quark b. L’anti-quark top se désintègre en un muon et un jet-b, qui apparaissent en rouge.
Visualisation d’une événement candidat tt ̄H(γγ). L’événement contient deux photons candidats avec une masse diphoton de 125.4 GeV. En outre, six jets sont reconstruits. Les photons correspondent aux tours vertes du calorimètre électromagnétique, tandis que les jets (b-jets) sont représentés par des cônes jaunes (bleus).
1. Le CERN, Organisation européenne pour la Recherche nucléaire, est l’un des plus éminents laboratoires de recherche en physique des particules du monde. Située de part et d’autre de la frontière franco-suisse, l’Organisation a son siège à Genève. Ses États membres sont les suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Israël, Italie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie, Suède et Suisse. Chypre, la Serbie et la Slovénie sont États membres associés en phase préalable à l’adhésion. L’Inde, la Lituanie, le Pakistan, la Turquie et l'Ukraine sont États membres associés. Les États-Unis d’Amérique, la Fédération de Russie, le Japon, le JINR, l’UNESCO et l’Union européenne ont actuellement le statut d’observateur.